Issu d’une famille d’artistes et d’antiquaires, Roberto Ferruzzi (1927 - 2010) , est né à Venise où il fit l’Ecole des Beaux-Arts avec pour maître, entre autres, le célèbre peintre Aldo Salvadori, ami de Morandi et de Manzu. En 1951 il poursuivit son activité de peintre, d’abord à l’étranger, en Autriche,en Allemagne, au Danemark et en Suède où il s’établit pendant un an. Il y développa une intense activité créatrice en se dédiant aussi à la mosaïque et à la céramique. Il obtint l’estime du milieu artistique notamment par ses travaux de décoration pour des établissements publics et privés. Par la suite il résida pendant deux ans à Londres et à Paris où il se concentra sur l’étude du paysage et du nu.
En 1956 il retourna en Scandinavie pour y peindre et y réaliser d’autres travaux de décoration. L’année suivante il partit en Espagne, puis au Brésil et en Argentine afin d’y poursuivre ses travaux. Il s’installa pour trois ans à Santiago du Chili où il exécuta plusieurs commandes de peinture, mosaïque et céramique pour des églises et des hôtels.
Pendant ces années de voyages à l’étranger, il collabora avec d’importants peintres, architectes et metteurs en scène. Il eu la chance de rencontrer des artistes tels que Dufy, Marquet, Lhote, Desnoyer, Bonel, Girard, Rolf Nesch, Aikaas, en en recueillant les précieux enseignements, sans toutefois sacrifier sa personnalité, stimulé par leurs éloges et leurs encouragements. À ce propos, le poète chilien, Pablo Neruda écrivit de lui:
Di tutto ciò Ferruzzi cerca di “parlare”, colpito dal popolo “maltrattato e amareggiato” di Neruda. Il grande poeta cileno rimane turbato dalla sensibilità del pittore veneziano e tanto si entusiasma per le sue opere che gli dedica questa poesia:
Hay una Amèrica lavada por grandes tempestades y luego aderezada por el fuego solar. Todo brilla, verde y volcànico, todo florae hasta morir; todo se estremece trinando. Derrochador planeta!
Hay otra Amèrica de soledad, de pobladores fatigados, de oscura desdicha, da luchas memorables, de andrajos sangrientos o de la muerte instantànea.
Bobo Ferruzzi, veneciano, escogiò esta Amèrica dolorosa, la sintiò, la viviò y la expresò con energìa y ternura. Porque hay amor en la vision de este veneciano amargo. Pintò con clàsicos colores, los mismos que antes lucìan en la vestidura de los angeles, la tristeza de los arrabales remotos, de hombres maltratados y olvidados.
Que el intenso mensaje de Bobo Ferruzzi cuente y cante en el mundo, porque la verdad de su pintura nos descubre la tràgica belleza que los dioses transitorios quieren esconder. Y non para que los pueblos no sufran sino para que no se sepa.
La pintura de Bobo Ferruzzi rompiò las cerraduras e illumino los rincones con una luz azul.
Il existe une Amérique lavée par les grandes tempêtes et tout de suite ramenée à l’ordre par le feu du soleil. Tout y brille, vert et volcanique, tout y fleurit, jusqu’à la mort, tout s’éteint en chantant. Planète prodigue!
Planète prodigue!
Il existe une autre Amérique, faite de solitude, de colons fatigués, d’obscur malheur, de luttes mémorables, de chiffons saignants ou de mort instantanée.
Bobo Ferruzzi, vénitien, découvrit cette Amérique de douleur, il la vécut, et l’exprima avec énergie et douceur; car il y a de l’amour dans la vision de ce vénitien touché par la misère.
Il peigna avec les couleurs classiques, (les mêmes qui luisaient auparavant dans les habits des anges), la tristesse des endroits lointains, des hommes maltraités et oubliés.
Que l’intense message de Bobo Ferruzzi puisse raconter et chanter de par le monde, car la vérité de sa peinture nous dévoile la tragique beauté que les dieux passagers voudraient nous cacher. Non pas afin que les peuples cessent de souffrir, mais pour qu’on ne le sache pas.
La peinture de Bobo Ferruzzi a cassé les serrures et illuminé les coins les plus cachés d’une lumière bleue-azur.
Pablo Neruda, Isla Negra Dicembre 1966
Il y avait autrefois, au siècle des lumières, en Europe, les Peintres Vénitiens. Ils se nommaient Tiepolo, Ricci, Pellegrini, Carriera, Canaletto ou Bellotto. Ils étaient honorés comme des maîtres, allaient et venaient entre Prague et Paris, entre Vienne et Londres..
Ils emmenaient avec eux tout le précieux de la couleur vénitienne, la limpidité de la lagune, la fraîcheur du coup de pinceau.
Et aujourd’hui? Aujourd’hui il reste encore quelques spécimens de cette somptueuse espèce, parmi lesquels on peut compter Roberto Ferruzzi, universellement connu sous le nom de Bobo.
Son pinceau n’a jamais déteint même si parfois, (et comment faire autrement dans les pays du nord?) il a pâti de l’air gris, de la brume et peut-être d’une certain mélancolie des lieux. Mais ces gris, qu’il a appris et étudiés, ont sans aucun doute compté pour sa peinture.
Le voilà, donc Bobo, splendide septuagénaire: jeune, plus que jamais. Il est issu d’une famille d’artistes: son grand-père (lui aussi, Roberto) était le peintre connu de la “Madonnina”. Il n’était qu’un enfant, lorsque à la “Pensione Bucintoro”, il connut les meilleurs peintres de l’époque: Lhote, Dufy, Zuloaga, Desnoyer, Severini, Marquet et encore d’autres. Il les accompagnait peindre à Venise en leur trimbalant leurs boîtes de couleurs. Il portait encore des culottes courtes, mais déjà il peignait avec ces illustres modèles. On peut dire qu’il a toujours peint.
Mais ce qui est étonnant c’est son style : essentiel, dès les débuts, lumineux, pondéré dans sa structure, limpide en tout et fatalement enclin à l’harmonie de la couleur.
En somme, Ferruzzi a toujours été un vénitien de sang et de culture.
Pourtant, une grande partie de sa vie, s’est déroulée à l’étranger, mais ceci l’a enrichi dans sa spécificité vénitienne.
Pendand environ sept ans, il parcourut la France. A Paris, il partagea son atelier avec le peintre André Girard, élève de Rouault. Ensuite il vécut à Arles, à Perpignan, à Aix en Provence, à Nice, à Nîmes,et parmi les plus beaux sites de la Côte d’Azur. Partout, il peignit des paysages et partout il fut ébloui par cette lumière limpide et forte. Mais il fréquenta aussi des musées et connut des peintres. C’est son ami Desnoyer qui lui commanda l’agrandissement d’une ébauche, pour une grande décoration à la mairie de St. Cyprien. A Aix, il se mesura au paysage de Cézanne. “Là, raconte Ferruzzi, habitait ma femme, en ces lieux merveilleux j’étais ensorcelé par la lumière. Ces transparences lumineuses je ne les oublierai jamais, surtout, certains matins lavés par la pluie”.
La provenance stylistique de la peinture de Ferruzzi est difficile à définir. Certaines influences se comprennent tout de suite. Par exemple Marquet ou De Stäel, Dufy ou même Munch. Il s’agit de convergences, de pénétrabilité, de similitudes.
Mais sa personnalité artistique demeure bien ancrée dans ses racines vénitiennes. Ses vagabondages artistiques dans la moitié du monde n’ont fait qu’augmenter la nostalgie pour sa ville. Dans ses derniers tableaux, sa peinture est devenue encore plus essentielle et limpide, jouée sur les changements de lumière, musicale, en dehors du temps.
Loin de toute langueur romantique, l’artiste cueille la synthèse de Venise: il la rend pure lumière.
Dieu dit: “Que la lumière soit”. Et la lumière fut.
EL’eau se met à miroiter sous les caresses du ciel. L’homme venu, il pose sur l’horizon immobile la dentelle d’une ville délicate et forte, si souple « qu’elle se met à danser quand souffle le vent », si l’on en croit Roberto Ferruzzi, le peintre de Venise.
Enfant, il jouait au bord de l’eau, durant les longs étés du Lido. Son oeil s’est formé à la brûlure de l’eau, flamme sous la lumière d’un ciel en mouvement. Déjà, la barque de l’enfant est symbole du voyage. Roberto Ferruzzi s’en est allé découvrir le monde: des gris de la Scandinavie, il s’échappe à Londres, à Paris, jusqu’aux terres du Chili. Avide de connaître, partout il demeure le temps d’explorer: céramiques et tissus, mosaïque et fresques, sculpture et dessin, huile et gouache. Un peintre naît des couleurs, de l’inlassable travail, de la douleur et de l’amour encore, et de la densité d’un silence qui ne peut se dire que par la nuance des teintes.
Tout est en place. Venise de nouveau: la Giudecca, le petit canal et le campo endormi. Venise toujours. Ferruzzi ne pouvait s’en éloigner trop longtemps. Tant de toiles pour un même sujet, pour dire le frémissement et la transparence de la lumière, pour dire les instants d’une couleur, la seconde où le soleil éveille le pan de mur dont rien ne laissait deviner l’existence. Le regard du peintre transforme le monde en vibrations de teintes.
Il comprime le paysage dans la toile choisie pour que la diagonale d’un bateau posé sur la lagune rejoigne la perspective d’un quai tordu par le vent. Sur un fond préparé, la touche nerveuse imprime le mouvement, entraînant le regard au-delà d’une histoire trop souvent et banalement contée. Un axe insolite en souligne la force ou l’étirement à l’infini. Roberto Ferruzzi sait les tableaux ramassés qui ne sont plus qu’une ligne où les maisons, bulles de lumières projetées à l’horizon, s’allongent au fil de l’eau. Peu importe s’il a fallu chercher le ciel loin au-dessus de lui, il suffit d’en voir le ton essentiel ramené en une insaisissable touche.
Le rouge brûlant de chaises au premier plan s’étend à l’eau mouvante soudain orangée.
Les nappes ne sont rien, seul le rosé qu’elles amènent amorce le passage vers l’eau.
De la juxtaposition des tons ne naît pas la profondeur factice mais l’espace immense d’une goutte de lumière. « L’espace, tu sens ? c’est l’espace qui est important ». Il pose alors, comme pour contenir l’incendie, la silhouette austère, violette et bleue, du Mulino Stucky. La magie opère. Trois ou quatre touches posent encore de lourdes barques sur le canal soyeux. Avec la force de la construction et la souplesse de l’eau, très libre, il a dit Venise.
Ici, l’eau est plus froide, le ciel plus gris, les barques dorment sur un jaune qui verdit en rejoignant le ciel. Les mâts s’accrochent au cadre comme pour retenir toutes les horizontales. Au bout de leurs verticales bleues et ocres, la bouée rouge sourit comme le point d’une exclamation dans le prolongement du mât.
VUn soir d’été, le peintre rentre, fatigué, le regard brûlé et brûlant de ce feu intérieur qu’allume toujours l’émerveillement renouvellé comme un premier amour. La porte entrouverte appelle le repos de l’ombre. Alors la lumière lui joue son dernier tour. Lui, félin aux aguets, la poursuit encore. A la hâte, il pose le chevalet. L’ombre violâtre se faufile sous la tonnelle, avale le feu qui ne veut pas s’éteindre et vole sur l’angle d’une fenêtre, lèche le côte d’un mur. Ici jaune, là rouge, ocre, rose encore, plus pâle. Au creux de la ruelle s’éteint le dernier combat. Rien ne pourrait être enlevé de ces blancs déclinés qui bordent les fenêtres. Il n’y a pas de hasard. La hâte concentre et choisit. Ce soir chaque touche est sûre. La lumière encore a guidé le peintre. D’elle ou de lui, qui était la proie?
Un soir d’été, le peintre rentre, fatigué, le regard brûlé et brûlant de ce feu intérieur qu’allume toujours l’émerveillement renouvellé comme un premier amour. La porte entrouverte appelle le repos de l’ombre. Alors la lumière lui joue son dernier tour. Lui, félin aux aguets, la poursuit encore. A la hâte, il pose le chevalet. L’ombre violâtre se faufile sous la tonnelle, avale le feu qui ne veut pas s’éteindre et vole sur l’angle d’une fenêtre, lèche le côte d’un mur. Ici jaune, là rouge, ocre, rose encore, plus pâle. Au creux de la ruelle s’éteint le dernier combat. Rien ne pourrait être enlevé de ces blancs déclinés qui bordent les fenêtres. Il n’y a pas de hasard. La hâte concentre et choisit. Ce soir chaque touche est sûre. La lumière encore a guidé le peintre. D’elle ou de lui, qui était la proie?
Elle émerge lorsque notre regard en attente se pose sur elle.
Quel déploiement alors! Le discours demeure stérile. Apprendre à voir, il n’y pas d’autre secret. Roberto Ferruzzi? Il est l’éclair du regard et la rapidité du geste. Silhouette pressée sur les Zattere: « Il faut que j’aille, la lumière est si belle ! ». Il dit encore vouloir vivre dans un pays où l’hiver ne freinerait pas le peintre. Personne n’est dupe, ce ne serait pas Venise... Il a choisi depuis toujours. Election mystérieuse d’une ville créée pour être miroir et reflet d’un ciel qui la dévore. Tendu vers l’expression ultime d’un choix intérieur essentiel, il guettera toujours sur sa ville d’or l’ombre grise d’un nuage et l’avance de la nuit. Correspondance secrète à la frange d’un autre commencement, alliance scellée dans l’émerveillement, l’artiste peut être cette porte qui ouvre à la lumière.
Dieu vit que la lumière était bonne, et Dieu sépara la lumière des ténèbres.